Voici la présentation et le compte-rendu de la journée d'échanges du 5 avril 2014 sur "les premiers pas dans la magistrature" organisée à l'initiative du groupe de travail "Petits Pois" du Syndicat.
1 – L'ENM: Machine à formater, infantilisante ou fabrique de juge rouge?
Depuis sa création, l’ENM a essuyé de nombreuses critiques, accusée d’être la mère de tous les vices de la Justice, de forger l’esprit d’entre soi, de produire des « juges rouges » ou de formater des magistrats rigides et inhumains...Ces critiques vont parfois jusqu’à revendiquer la suppression de l’ENM, comme le fait régulièrement le Front national ou de célèbres ténors du barreau, ou encore de façon plus inquiétante la Chancellerie sous l’ère Sarkozy lors du dépôt du rapport de la Commission Darrois en avril 2009.
Si les attaques dirigées contre l’ENM servent le plus souvent la haine du juge et le mépris de la Justice, elles ne doivent pas gêner la critique du recrutement et de la formation des magistrats. Car la question mérite d’être posée : comment mettre en oeuvre les exigences démocratiques d’égalité, de pluralisme et de qualité en matière de recrutement et de formation des magistrats?
Le constat a été fait que l'école en tant qu'institution avait peu évolué, la nomination de son directeur étant toujours politique et la cooptation semblant grande au sein des enseignants dont la nomination ne subit aucun contrôle par le CSM. Le Conseil d'Administration de son côté ne laisse que peu de place à la contradiction, les représentants syndicaux n'y ayant pas de voix délibérative. Dans le même temps, l'école en tant que lieu d'apprentissage a subi de profonds bouleversements, visant désormais à former à un idéal technicisé du magistrat par l'introduction notamment de tests psychologiques. Ceci en démantelant le corps enseignant entre ceux restant à Bordeaux et ceux associés n'ayant pas de décharge et aucune marge de manoeuvre.
Des
membres de la section de la promotion 2011 ont pu insister sur le
fait que les 13 capacités exigés du magistrat au concours d'entrée
figeaient la profession et visait à fabriquer des bons magistrats.
On commence ainsi par des tests psychologiques issus d’une méthode
utilisée dans les ressources humaines. Un schéma en sort sur
plusieurs variables : capacité d’empathie, d’ adaptation ..Ce
schéma est ensuite repris par le psychologue et le magistrat dans le
cadre de l’entretien prévu. Or, ces tests entrainent des dérives :
certains avis des psychologues étant délirants (avis destructeur,
qui préconise un traitement…). A l’inverse, au bout de 15
minutes, certains sont décrits comme d’excellents magistrats...
Par
la suite, concernant la formation pendant la scolarité à l’ENM.
Si les formations en direction d'étude à 15 personnes sont
satisfaisantes, la scolarité est de façon générale beaucoup trop
chargée. Il est alors impossible de réfléchir sur d’autres
choses et d'avoir le temps d’observer la pratique de la profession
de magistrat. Ceci est d'autant plus regrettable alors que certaines
questions telles que la déontologie ne peuvent se penser et être
enseignée de manière abstraite, déconnectée de la réalité.
Ce
constat partagé se retrouve du côté des stages. Il y a un réel
souci de l’ENM d’ouvrir au maximum les auditeurs sur d’autres
horizons (stage avocat, application des peines, police). Cependant,
l’organisation de ces stages mériterait d’être revue : la
durée du stage avocat est trop longue, en revanche le stage enquête
apparaît trop court…et parfois les conditions de recrutement
paraissent obscures (stage extérieur, stage international..). Le
stage juridictionnel, étape majeure de la formation, est
malheureusement organisé de façon rigide parfois rigide avec un
nombre de semaines prédéfini dans chaque fonction alors que
certains auditeurs de justice pourraient avoir besoin de passer plus
ou moins de temps dans une fonction. De même, la fin du stage
interroge alors que certaines remarques indiquées par le maitre de
stage sur les rapports finaux sont inconnues de l'auditeur, pourtant
déjà destinataire d'un rapport de stage juste après celui-ci.
Enfin, le poids des évaluations et du classement est à revoir. Le
grand oral compte pour un quart de la note : dans une logique
scolaire avec une grosse partie de questions de type questions pou un
champion ! Les épreuves écrites sont de leur côté
complètement déconnectées de la réalité imposant de faire
un jugement en 6 heures pas une minute de plus. La tentative de
remise en cause du classement de la promotion 2011 a été
mentionnée. Celle-ci n'a pu fonctionner dès lors que la
chancellerie a refusé, comme elle le fait encore aujourd'hui
d'attribuer un volant de postes nécessaire pour y parvenir et n’a
pas voulu retenir le classement quelques jours de façon à réaliser
la répartition sans que chacun ait connaissance de son classement.
Ces
réflexions ont permis notamment d'approfondir le fait qu'aucune
formation n'est prodiguée aux magistrats sur le fait qu'ils doivent
eux-mêmes former des auditeurs alors que la façon dont l'auditeur
est reçu par son maitre de stage aura nécessairement des
conséquences sur son appétence sur une fonction ou non, et sur ses
compétences dans cette dernière. Il est finalement apparu
nécessaire que pour réfléchir sur la formation, Il fallait se
mettre en contact avec d’autres syndicats de la fonction publique
et notamment avec l’ENA.
Un constat a récemment été formulé par le SM dans le numéro 1 de « Justice au quotidien » sous la plume d'Anaïs VRAIN, ancienne juge placée-Cour d'Appel de Nancy : « L’utilisation massive de la fonction de magistrat placé pour faire face à une pénurie des moyens humains nécessaires pour rendre la justice dignement, le manque de garanties d’indépendance et les conditions déplorables dans lesquelles les magistrats placés exercent leur mission actuellement rendent nécessaire une réflexion de fond sur cette fonction afin qu’elle soit réellement un outil au service d’une justice de qualité et non, comme aujourd’hui, un instrument au service d’une justice précarisée. »
Ce thème
était très important à évoquer dès la première réunion de
travail dès lors que devant la pénurie de magistrats, la solution
est de recourir à la fonction de placé et de la proposer largement
en sortie d’école ce qui pose immédiatement la question de
l’indépendance dans l’exercice des fonctions. De même, cette
question est concomittante à celle des priorités pénales à
imposer et notamment du fait qu'en osant supprimer telle ou telle
audience, le rôle véritable du placé, qui n'est pas de pallier les
vacances de poste, pourrait être respecté.
Le
juge placé dépend du premier président de la CA mais dépend aussi
du président de la juridiction ou il est placé. Le placé devient
un mode de gestion du ministère de la Justice pour répondre au
manque de magistrat sans que la répartition des délégations ne se
fasse de manière transparente. Le placé a une priorité de fixation
dans son corps, soit sur le chef lieu de la Cour d'Appel, soit sur a
plus grande ville de la CA après un délai minimum de deux ans. En
échange de cette fonction, il a des garanties financières :
indemnité de déplacement, de bouche et salaire un peu plus
conséquent que les magistrats fixes. La situation de magistrat placé
poste des problématiques propres telles que le fait de se retrouver
à des fonctions supposées être exceptionnel en premier poste comme
le JLD mais encore la difficultés de s'impliquer dans la vie de la
juridiction notamment de se rendre aux assemblées générales.
Pour
les substituts placés, ceux-ci se retrouvent principalement en
section de permanence à devoir apurer des stocks, en ne maitrisant
par la politique pénale du fait des courtes délégations ce qui
peut limiter très fortement leur marge de manoeuvre. De même, au
siège, il est difficile de révolutionner la jurisprudence d'un
tribunal et celle de ces collègues quand l'on est en poste que pour
quatre mois, ce qui incite à renoncer à certaines pratiques que
l'on aurait eu en étant fixé.
3- Les premiers pas dans la magistrature: les marches du palais sont-elles trop hautes?
Une vocation de magistrat est intimement liée à celle de travailler au contact de la souffrance sociale. Mais généralement moins à celle de travailler au cœur de la souffrance d'une institution qui se fait ressentir par les collègues magistrats et fonctionnaires. Et encore moins à celle de travailler au cœur d'une institution en souffrance, sans moyen et sans perspective d'amélioration où la pénurie place chacun en situation de surcharge de travail. Dans ce contexte, les magistrats qui débutent doivent assumer de lourdes responsabilités, au moins équivalentes à celles de leurs collègues expérimentés, alors qu'ils ont moins d'expérience et donc moins de ressources. Quelles sont les difficultés particulières des magistrats débutants dans le rapport à la hiérarchie ? Aux auxiliaires de justice ? Aux questionnements déontologiques ? Comment trouver un équilibre entre la vie personnelle et professionnelle ?
Il est apparu nécessaire de ne pas se laisser
envahir par le discours selon lequel la masse de travail est
considérable quand on arrive en poste, permettant de cacher le fait
que cette masse existe même pour les magistrats depuis plusieurs
années et que le problème est en réalité ailleurs. La solution en
cas de difficultés réside dans le collectif, le partage des doutes.
Ceci d'autant plus que se pose la question de la légitimité
notamment vis-à-vis des tiers extérieurs à la juridiction mais
avec lesquels l'on est tenus de travailler. Participer aux instances
a semblé nécessaires aux différents intervenants pour intégrer ce
premier poste notamment en ce que les commissions restreintes,
plénières et assemblée générales permettent de comprendre le
fonctionnement de la juridiction, les principes et textes qui la
gouvernent et de lutter contre. Un consensus s'exprimait sur le fait
que c'est par la maitrise des textes que la légitimité se trouvait,
à trois mois comme à trente ans de fonction.
4- « vieux magistrats, jeunes magistrats, même combat! »
Louis JOINET,
membre fondateur du Syndicat de la Magistrature
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire