Ciné-Justice

  

Se faire violence

Une chronique de Marcela Iacub parue dans Libération (édition du 12 et 13 mai 2012)

Tuer d’un coup de pied le chien qu’on aime parce que quelqu’un vous a mis en colère est un acte trop énigmatique pour qu’on puisse le qualifier moralement. C’est comme si vous vous tiriez une balle dans le pied : impossible de penser que cet acte fait de vous un salaud. Et comme il s’agit de votre chien que tout un chacun vous a vu chérir, personne ne se doutera, lorsque vous direz qu’il a été écrasé par une voiture, que vous l’avez sauvagement assassiné, et la police vous laissera tranquille. Outre souffrir de la perte de l’être qui vous était le plus cher, vous aurez donc à réfléchir tout seul aux ressorts mystérieux de votre acte. C’est à partir de cette situation limite que Joseph, le héros du film Tyrannosaur de Paddy Considine, débute son enquête. Et tout ce qui lui arrivera dorénavant, tout ce qu’il verra dans son quartier misérable, tout ce dont il se souviendra avoir vécu avant l’épisode du chien, il le transformera en autant de documents pour esquisser une sorte de théorie non policière sur la violence.

Certes, ce pauvre chômeur ne dira pas grand-chose. Il nous prêtera son regard éveillé pour observer la violence à partir d’un point de vue qui ne sera pas celui de l’appareil pénal ni de ses multiples gardiens intellectuels. Ce point de vue auquel nous adhérons si massivement depuis tant d’années que nous oublions qu’il ne s’agit que d’un point de vue. Joseph comprendra au fur et à mesure que la violence est une forme de communication presque cosmique qui dépasse de loin les actes humains. Ainsi voit-il un cancer emporter la vie des êtres chers, un diabète amputer leurs jambes avant de les assassiner, un chien défigurer le visage d’ange d’un enfant. Comme si les criminels les plus redoutables n’étaient pas les humains, mais les forces de la nature et du hasard que l’on ne peut ni punir ni blâmer.

Joseph voit aussi que la violence n’a pas seulement le pouvoir de blesser, de faire souffrir, de tuer, mais aussi d’unir les gens dans des élans d’amour et de solidarité. C’est parce qu’il y a la violence de la mort que les gens se réunissent, rient et dansent à un enterrement. Et c’est encore à cause de la violence envers quelqu’un qui nous est cher qu’il y a cette forme d’amour bizarre qu’est la vengeance. Plus encore, grâce à la violence, il y a le pardon, qui mêle l’amour, le mépris, la générosité et la colère. Comme si la tentative d’expurger la société de sa violence impliquait de lui enlever dans le même temps les inclinations et les élans émotionnels les plus forts et les plus délicats qui l’accompagnent. Comme si l’erreur était de penser la violence à l’échelle des individus qui la subissent ou qui l’infligent à d’autres au lieu de la voir comme une force impersonnelle dépourvue de raisons et d’intentions au même titre que l’amour, le désir ou la puissance de la vie. Une force qui traverse les corps et les esprits des hommes, les transformant en bourreaux ou en victimes, une force sur laquelle il faut intervenir avec le plus grand soin pour qu’elle ne perturbe pas l’équilibre des passions, des saisons ou les liens entre les humains, les animaux et les choses.

Et Joseph comprend que, loin de venir d’un cœur ou d’un cerveau méchants, la violence est toujours le résultat d’une situation. Mettez la personne la plus sainte à la place de Hannah, victime des violences sadiques de son mari, et elle tuerait avec le même enthousiasme que lui. Plus encore. Car Joseph n’a-t-il pas tué son chien inoffensif qu’il aimait parce que la situation dans laquelle la vie l’avait placé l’avait rempli de trop de colère ? Et si le film s’ouvre avec le meurtre gratuit du chien inoffensif que commet Joseph, il se termine par un deuxième meurtre commis par le même homme mais sur un chien méchant qui vient d’agresser sauvagement un enfant. Or, Joseph le tue en le tenant pour innocent : ce chien a été trop humilié, dit-il en se sentant si proche de lui - n’a-t-il pas lui aussi tué son petit chien ? Il garde le cadavre ensanglanté sur ses genoux pour se salir de son sang, pour le chérir.

Tuer un chien méchant, un chien assassin, ce n’est pas un acte moral ni une punition méritée. Le seul but est de défaire une situation de violence, de lui enlever l’un de ses supports, d’empêcher qu’elle continue à faire souffrir. Mais en agissant ainsi, il est toujours question de faire du mal à un innocent. C’est pourquoi lorsque nous jugeons et nous punissons des individus pour la violence qu’ils ont exercée sur d’autres, nous commettons nécessairement un acte arbitraire, brutal, et injuste. Aussi injuste à certains égards que de tuer son petit chien pour rien.

C’est pourquoi l’une des premières choses que devrait faire le nouveau gouvernement avant d’assumer ses fonctions c’est d’aller voir Tyrannosaur si jamais il envisage de finir avec la brutalité sécuritaire de l’ère de Nicolas Sarkozy. Ce film l’aidera à ne pas oublier que punir est un acte trop embarrassant, trop coûteux, trop peu évident pour ne pas l’infliger en tremblant. A se rappeler, en attendant la mise en place de réformes plus ambitieuses, que l’angélisme n’est pas une posture à bannir des politiques pénales de la gauche, mais la moindre des choses.

Revue de presse- Zones d'Ombre

Un film qui fait entrevoir les enjeux symboliques de la justice et la difficulté de son exercice.
Jacques Mandelbaum

Ce documentaire capte la justice en action, dans toute son humanité. Un film édifiant, donc, loin des clichés que véhicule, sur le sujet, le cinéma de fiction.
*Guillemette Odicino

Enfin le portrait d'un magistrat humaniste, qui tente de rendre la justice en réduisant la marge d'erreur (...), ne perdant jamais de vue que les accusés sont des êtres humains.
Serge Kaganski

Un remarquable documentaire [qui] nous donne à voir la justice en actions, des coulisses à la salle d'audience, à hauteur d'humanité.
Dominique Widemann

Un documentaire intéressant. Recherche de la vérité des faits et souci d'humanité sont au cœur de ce difficile exercice de la justice.
Marie-Noëlle Tranchant

Un beau document sur une justice souhaitable, sa vérité et ses limites, avec un acteur-juge manifestement exceptionnel.
J-L.B

Un documentaire aux vertus pédagogiques et plein d'humanité. 
Thierry Chèze

PRESSE MENSUELLE – HEBDO – QUOTIDIENNE





Un documentaire sur le quotidien d'un juge.
Constante du récit sociétal, l’actualité judiciaire semble avoir atteint des sommets ces dernières années. Loin des passions médiatiques, le titre du documentaire de Mika Gianotti peut s’entendre en deux sens : plongée dans les incertitudes de la justice pénale, institution humaine, donc imparfaite, mais aussi plongée dans les coulisses du travail judiciaire, qui échappent à la lumière du grand public. Gianotti a posé sa caméra dans la cour d’assises du Pas-de-Calais, rendue tristement célèbre par l’affaire Outreau, et a choisi pour personnage principal son président, le juge Dominique Schaffhauser.
Dans son prétoire, l’ordinaire des affaires pénales : alcool, brutalité, ruptures, pulsions amoureuses devenues meurtrières. Mille choses fines affleurent. Des rapports humains comme sortis de sordides romans noirs. L’étouffement de petites vies. La justice au quotidien dans une ville de prov ince : univers de labeur et de doutes, entre palais de justice et petit café d’en face, loin de la grande scène judiciaire parisienne.
Enfin le portrait d’un magistrat humaniste, qui tente de rendre la justice en réduisant la marge d’erreur, en privilégiant toujours la vérité (difficile à établir) à ses propres hypothèses (si faciles à échafauder) et ne perdant jamais de vue que les accusés sont des êtres humains.
Serge Kaganski - 9 novembre 2011



C’est le cinquième documentaire sur la justice de Mika Gianotti. La cinéaste a posé cette fois sa caméra au milieu de la cour d’assises de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, pour suivre deux affaires présidées par Dominique Schaffhauser. Ce juge qu’elle connaît depuis vingt ans porte haut l’idéal d’une justice bienveillante. Dans son bureau ou en audience, il multiplie les mises en garde sur la faillibilité des jugements, souligne les dangers de l’émotion qui peut tout occulter, plaide pour une écoute sans morale afin de se garder des verdicts hasardeux ou vengeurs. Un beau document sur une justice souhaitable, sa vérité et ses limites, avec un acteur-juge manifestement exceptionnel.
J-L.B. - Le Journal du Dimanche / dimanche 06 novembre 2011

 

*Séparer l'ombre de la lumière : pour le président de la cour d'assises de Saint-Omer, c'est cela, rendre un verdict. Mika Gianotti suit pas à pas son travail et sa réflexion. Ce documentaire capte la justice en action, dans toute son humanité. Un film édifiant, donc, loin des clichés que véhicule, sur le sujet, le cinéma de fiction.
*Guillemette Odicino – 9 novembre 2011


  et

Un documentaire aux vertus pédagogiques et plein d'humanité. 
L'ombre du Raymond Depardon de 10e chambre, instants d'audience plane sur ce doc qui plonge dans le quotidien d'une cour d'assises. Mais Mika Gianotti suit ici un principe différent : en plus de l'observation silencieuse des audiences, elle interroge jurés, avocats et son "personnage central", le président de la cour de Saint-Omer, proche du terme de sa carrière. Écouter ce dernier confier ses doutes et ses regrets offre un visage humain à cette justice pointée du doigt récemment... pour son inhumanité. Et donne une vertu pédagogique à Zones d'ombre. 
Thierry Chèze – 9 novembre 2011

Mesdames et messieurs, l’heure est venue de juger
Un remarquable documentaire nous donne à voir la justice en actions, des coulisses à la salle d’audience, à hauteur d’humanité. Ce à partir du cas d’un juge exemplaire du tribunal de Saint-Omer.
Une ville, Saint-Omer, son tribunal, sa cour d’assises et le juge qui la préside, Dominique Schaffauser. En préambule aux audiences qui vont se tenir, le magistrat émet le souhait que tout se déroule «comme pour nos proches». Affirmation d’humanité qu’il ne va cesser de faire valoir devant la caméra de Mika Gianotti, familière des films concernant la justice. Munie de toutes les autorisations, soumise à l’obligation d’interrompre à tout moment le tournage, la réalisatrice a choisi de filmer une justice en actes qui ne se donne pas en spectacle, dans l’enceinte même du procès d’Outreau. Des deux affaires criminelles dont nous allons suivre la procédure, de leurs protagonistes, elle remporte la gageure de rendre sensibles les traits marquants qui aboutissent à la grande responsabilité de juger. Fabrice comparaît pour avoir tenté de tuer à coups de couteau son ex-compagne. Celle de Manuel, qui fait appel à un premier jugement, est morte d’avoir basculé de leur balcon une nuit d’alcool et de bagarre. La mémoire de l’accusé escamote la chute. «Derrière chaque dossier une horreur, mais une horreur humaine», soutient le juge. Tandis que deux jurés s’étonnent de se trouver mêlés à ce qui d’ordinaire, «ne les regarde pas», nous allons accéder à la complexité, très humaine certainement, de ce qui se joue et nous contemple bel et bien. Les faits qui se sont produits nous sont tout aussi invisibles qu’à ceux réunis dans le palais de justice pour en décrypter la trace. Un tel dessein réclame une exigence à laquelle adhère Mika Gianotti par ses choix cinématographiques. Elle procède en allers-retours entre les deux affaires, filme serré les visages, circule entre vestibules et corridors, dedans et dehors, sans oublier l’envolée des flèches de la cathédrale voisine. Le ciel translucide accroît la tension entre ombres et lumière, noirceurs d’abord insondables dont il faudra exposer les plis. Les dossiers qui parviennent scellés au mortier de leur propre poids prendront vie à mesure de l’orchestration d’un juge épris de justice. Les distorsions demeureront, à l’exemple de ce qui sépare les portraits «à la ressemblance» des accusés jaillissant du fusain de la dessinatrice du tribunal, à la réalité de leur présence. La salle d’audience sera découpée en tableaux, chaque fois filmés sous un angle différent. Les points de vue basculent comme les fragments de verre d’un kaléidoscope dans l’huis clos de sa lunette. Aux accusés les derniers mots du procès puisés aux failles profondes de leurs paysages intérieurs. Au juge, homme qui place une sorte d’humilité passionnée à ce grand exercice de raison, la conviction qu’il n’aura fait que réduire la marge d’incertitude. Au spectateur celle que rien d’humain ne saurait nous être étranger.
Dominique Widemann - Le 9 novembre 2011 -



"Zones d'ombre" : l'exercice de la justice, du point de vue du magistrat
Il est plutôt rare qu'un haut magistrat invite un cinéaste dans le secret du prétoire. C'est pourtant ce qui est arrivé à Mika Gianotti, la réalisatrice de Zones d'ombre, à laquelle le président de la cour d'assises de Saint-Omer (Pas-de-Calais), Dominique Schaffhauser, a permis de suivre, auprès de lui, deux affaires criminelles jugées en appel.
Le dispositif est donc très différent de celui adopté par Raymond Depardon dans Délits flagrants (1994) ou 10e chambre, instants d'audience (2004), où la mise en scène du film, limitée aux salles d'audience, sert à révéler celle de la justice.
Ici, la réalisatrice passe des débats menés dans l'enceinte du tribunal aux coulisses du palais de justice, et jusqu'au foyer du magistrat où elle mène avec lui des entretiens privés.
Le film qui en résulte ambitionne moins de diriger l'attention du spectateur vers le seul spectacle du prétoire, avec sa charge intense d'émotion et de suspense, que de donner à comprendre, plus largement, ce qui se joue, humainement, socialement et symboliquement, dans l'acte nécessaire de rendre justice.
Elle y est fortement aidée par la personnalité de Dominique Schaffhauser et par la conception qu'il a de sa fonction, remplies l'une comme l'autre d'une humanité - c'est-à-dire de la conscience de cette part raisonnable de doute et de faillibilité qui entre dans son jugement - qu'il s'efforce d'exercer dans l'exercice délicat de ses prérogatives. Il resterait, au terme de ce film qui se veut, au meilleur sens du terme, pédagogique, à interroger son point de vue exclusif en posant cette question, qui se veut ouverte : le cinéaste peut-il passer ainsi d'un côté de la barre sans faire courir à sa mise en scène le risque de juger à son tour ?
Jacques Mandelbaum — 8 novembre 2011


Comment fonctionne la justice ? Qu’est-ce qu’implique le fait de juger son prochain ? Comment composer avec sa conscience et ses doutes ? Forte d’une relation privilégiée avec le magistrat, la réalisatrice l’a convaincu de la laisser filmer deux affaires criminelles jugées en appel, dans l’enceinte du tribunal comme dans les coulisses. Un film qui fait entrevoir les enjeux symboliques de la justice et la difficulté de son exercice.
Jacques Mandelbaum — 9 novembre 2011

«Zones d’ombre» clarifie la justice
Documentaire sorti en salles mercredi, Zones d’ombre (photo) situe son action statique à la cour d’assises de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais. Un endroit parmi tant d’autres, où se jouent des destinées «ordinairement» tragiques (ici deux cas jugés en appel : un homme qui nie avoir défenestré sa compagne et un autre, accusé de tentative de meurtre sur sa conjointe). Au cœur du dispositif conçu par la réalisatrice Mika Gianotti, le président de la cour d’assises, Dominique Schaffhauser, est un haut magistrat qui réfute toute morgue pour, au contraire, admettre et expliciter le caractère humain, donc faillible, de sa fonction.
Gilles Renault — 11/11/2011




Pour comprendre le travail du juge et des jurés d'une Cour d'Assises, un documentaire intéressant qui nous plonge alternativement dans deux affaires criminelles traitées au tribunal de Saint-Omer. Recherche de la vérité des faits et souci d'humanité sont au coeur de ce difficile exercice de la justice.

Marie-Noelle Tranchant | le 07.11.2011


Telle une chroniqueuse judiciaire, Mika Gianotti nous embarque dans l’enceinte de la cour d’assises de Saint-Omer, connue pour avoir abrité le procès de l’affaire d’Outreau en 2004. Discrète, sa caméra capte les regards, les plaidoiries des avocats et la tension qui règne au cœur de cette salle le temps de deux affaires criminelles. Ici, le spectateur est un simple témoin et bénéficie de l’éclairage du président de la cour, qui livre les ficelles de son métier. Malgré cela, persiste l’impression d’assister à des scènes qui se reproduisent tous les jours depuis la nuit des temps au palais de justice d’à côté.
Stéphane Canot  - novembre 2011


Dominique Schaffhauser, le président des Assises, a permis à Mika Gianotti de filmer la préparation, les débats et les coulisses de deux procès d’affaires criminelles dans le cadre du Palais de Justice de Saint-Omer. Le film suit le travail conjoint du président, des magistrats et des jurés, en marge du face à face entre la Justice, humaine, imparfaite, et l’accusé qui expose, comme il peut, sa propre vision des faits. Au cœur des consciences, on assiste aux doutes, aux prises de position, d’une équipe qui tend avant tout à s’approcher le plus près possible de la vérité. C’est le cinquième film de Mika Gianotti (Dans le sillon du juge sans robe) sur le thème de la Justice. Elle connait et suit le parcours de Dominique Schaffhauser depuis plus de vingt ans, ce qui entraîna sa participation au film. De plus, pour le Président des Assisses, "Accepter ce tournage, c’était permettre de mieux nommer ce qui se passe en justice. Un miroir... On dit beaucoup de sottises et d’inexactitudes sur l’acte de juger... Or il s’agit d’un regard avec l’humanité et humanité. Un regard partagé".


On a pu découvrir en avant-première le remarquable documentaire de Mika Gianotti, Zones d’ombre. Il s’agit d’un portrait de Dominique Schaffhauser, président de la cour d’assises du Pas-de-Calais. Dès les premières images, on remarque (force du vrai cinéma que de parvenir à transformer le détail en sens) la roturière chemise de sport à carreaux bleus qui dépasse légèrement du col de la toge, comme l’absence de toute décoration sur l’hermine. D’où l’idée instillée que ce haut magistrat est proche de nous. Ce que ce portrait étonnamment humain confirmera amplement.
J.R – 5 octobre 2011



BLOGS ET SITES INTERNET

Voici l’annonce d’un nouveau film documentaire sur la justice, de Mika Gianotti, "Zones d’Ombre".
Dans un lieu de justice, la Cour d’assises, qui oblige à se dévoiler, le film nous entraîne dans un face à face troublant qui nous renvoie au plus profond de nous-même. L’un est le juge, l’autre est l’accusé. Le premier nous livre sa pensée à la recherche de l’inatteignable vérité. Le second se défend à sa manière... Leurs échanges nous confrontent aux limites humaines de la compréhension de l’autre. La justice est humaine, forcément imparfaite bien sûr, ce qu’il faut avoir en tête, c’est comment on réduit la marge de l’inexactitude dit le magistrat. C’est un film qui parle de nous. il a pour décor le Palais de justice de Saint-Omer, où s’est tenu en son temps le procès de l’affaire d’Outreau. On y découvre les coulisses, les audiences filmées, là où se cherche la lumière... Mika Gianotti, nous indique : "J’ai réalisé cinq films autour de la justice, car l’injustice quelle qu’en soit la forme, des plus petites aux plus grandes - des procès d’intention du quotidien aux abus de pouvoir - l’injustice m’a toujours été insupportable... Et puis la notion de justice, cette science de l’homme, est indissociable de la notion de liberté qui nous constitue. J’ai eu l’opportunité de rencontrer des magistrats de qualité qui croient eux-mêmes en la Justice, à son rôle de garant des libertés et à l’importance de la dimension humaine dans la relation aux justiciables. Ces magistrats sont eux-mêmes à sa recherche, et cela suscite attente et espoir en une justice la plus équitable possible." Le film sortira en salles le mercredi 9 novembre dans les cinémas suivants : L’Arlequin, le Cinéma des Cinéastes, le MK2 Beaubourg, La Clef… Vous pouvez venir assister et participer aux débats qui auront lieu dans chacune de ces salles, et notamment le 9 novembre avec Dominique Schaffhauser, magistrat et protagoniste du film (au MK2 Beaubourg, séance à 20h30), le 8 novembre avec Maître Joseph Cohen Sabban, avocat pénaliste (cinéma La Clef, 20H) et les samedi 12 et 19 novembre avec Martine de Maximy, magistrat président de Cour d’Assises (L’Arlequin, séance de 11H15).


Dans la robe du président de la cour d'assises, Le film documentaire "Zones d'ombres", de la réalisatrice Mika Gianotti sort aujourd'hui en salles ;  il nous plonge au coeur de deux procès d'assises dirigés par le
président Dominique Schaffhauser, magistrat qui accorde une importante place à l'échange avec le prévenu durant l'audience.
Chevelure grise rassurante et regard doux sous d'épais sourcils noirs, Dominique Schaffhauser, président de la cour d'assises du Pas-de-Calais et personnage principal de ce documentaire, inspire d'emblée la sympathie. C'est à ses côtés, que Mika Gianotti, réalisatrice de plusieurs films sur le thème de la justice et qui connaît le magistrat depuis 20 ans, a choisi de placer sa caméra. Le film est tout entier imprimé de sa conception de l'exercice de la justice et des valeurs qu'il entend porter : dialogue, partage et compréhension.



Emmanuel et Fabrice. Deux procès. Le premier concerne Emmanuel, dont le visage ne sera pas montré. Il fait appel devant la cour d'une décision l'ayant condamné à 10 ans de prison pour homicide involontaire. Un soir d'ivresse, sa compagne Catherine passe par-dessus la rambarde du balcon de l'appartement qu'ils partagent. Il prétend qu'elle a sauté seule, ne se souvient de rien. L'autre affaire concerne Fabrice, jeune homme perturbé et provocateur. Lui a accepté que son visage et son regard tourmenté soient filmés. Il comparaît pour avoir tenté de tuer son ex-compagne sur le lieu de travail de cette dernière; elle n'a eu la vie sauve que grâce à l'intervention d'un tiers. Autour de ces trois personnages principaux (président et prévenus), gravitent les autres protagonistes des procès d'assises : jurés, avocats, parties civiles, procureurs, gendarmes, spectateurs et dessinateurs.
"Se plonger dans la réalité des prévenus"
Le documentaire nous montre une justice idéale, un lieu ou l'on prend le temps d'écouter les prévenus, où les juges, président en tête, se mettent à leur hauteur. "On aimerait que le procès se déroule comme si c'était nos proches qui étaient mis en cause", remarque Dominique Schaffhauser en voix off, au début du film. Et de fait, le magistrat s'y emploie. Il écoute, donne la parole, pose des questions, fait part de ses doutes au prévenu. Il interpelle ainsi Emmanuel: "mais quand vous dites que votre fille ne vous verra plus à votre sortie de prison, n'est-ce pas un aveu de culpabilité ?". "Il faut se plonger dans la réalité des prévenus pour avoir un vrai échange avec eux", estime le magistrat. Echange d'égal à égal, qui atteint son paroxysme lorsqu'au cours des débats, c'est le prévenu qui donne la parole au président.
Trois colonnes. Cette justice exceptionnelle, compréhensive et humble, loin de la justice d'abattage qui est l'ordinaire des gens de justice et des citoyens, n'est pas pour autant laxiste. En témoigne la sévérité des peines prononcées à l'issue des délibérés. Emmanuel répond sans broncher à la greffière qui remplit son mandat de dépôt, et Fabrice fait savoir, par la voix de son avocat que "la sanction lui paraît juste" et qu'il ne fera pas appel. Dominique Schaffhauser a auparavant expliqué à la réalisatrice la façon dont il mène les délibérés. Il prépare une feuille de papier avec 3 colonnes, "les éléments renforçant la présomption d'innocence, les zones d'ombres et les éléments à charge" et explique aux jurés qu'il leur appartient, au vu des débats, de séparer l'ombre de la lumière.
Des projections-débats du film sont prévues à Paris :
- Mercredi 9 novembre, à 20 heures 30, au cinéma MK2 Beaubourg, en présence de Dominique Schaffhauser
- Samedi 12 et 19 novembre, à 11 heures 15, au cinéma l'Arlequin (76 rue de Rennes), en présence de Martine de Maximy, magistrat président de cour d'assises

Anne Portmann – Novembre 2011

LE BLOG DOCUMENTAIRE

Tourné au palais de justice de Saint-Omer, le documentaire de Mika Gianotti invite lui-aussi à une assez saisissante « ronde des regards ». Ceux de magistrats face aux accusés eux-mêmes scrutés par les jurés, non loin de la position des spectateurs. Nous sommes invités à suivre deux procès tout au long de leur déroulement, mais ce n’est pas un un énième document sur les coulisses de la justice qu’il nous est donné à voir. L’entreprise fait ici le pari de l’intimité, et s’appuie sur une amitié vieille de 20 ans entre une réalisatrice rompue aux films de ce genre (le dernier en date : Dans le sillon du juge sans robe, 2005) et un Président de cour d’assises « humaniste ». Lui explique : « La justice est humaine, forcément imparfaite ; ce qu’il faut avoir en tête, c’est comment réduire cette marge d’inexactitude« . C’est dans cette relative incertitude, dans ces zones d’ombre que nous convie ce passionnant documentaire…

Robert Doisneau – Novembre 2011